Skip to main content

Usages, plan, matières

« Zoom sur » dans Domodéco – n°101 | septembre 2021

Zoom sur, dans Domodéco Depuis qu’il a ouvert son agence, l’architecte Nicolas Bossard livre nombre de projets résidentiels, fruits de la réécriture complète et contemporaine, de la réinvention même, d’espaces existants, souvent haussmanniens. Rencontre avec un créateur pour qui agencer consiste avant tout à traduire, dans le construit, des usages et des manières d’habiter.

Quelle est votre définition personnelle de la notion d’agencement?
N. B. : À mon sens, l’agencement est le prolongement du travail de l’architecture. Une fois que l’on a précisément défini, spatialisé, localisé des usages, dans un ou des espaces donnés, il est en quelque sorte la traduction, dans le construit, de ces usages, justement. Éléments de mobilier, d’assises, de liaisons, rangements, dessertes, incarnent ainsi, complètent et spatialisent les manières d’habiter.

Dans le domaine résidentiel, aborde-t-on l’agencement de la même manière que dans n’importe quel autre contexte?

N. B. : Non. D’abord parce que dans ce type de programme, n’importe quel habitant a déjà une connaissance très pointue, presque innée de ce qui fonctionne ou non dans un logement, contrairement à d’autres contextes, où l’architecte est vraiment sachant. Ici, c’est très délicat … Probablement l’un des exercices de conception les plus compliqués. Le projet est le fruit d’un travail itératif assez long, humble, à quatre mains, qui part des usages de chaque espace pour l’élaboration du plan. Il nous arrive souvent, en démarrage de projet de traiter chaque espace séparément des autres, en entrant dans les détails, en précisant l’univers à développer pour chaque lieu, avant de travailler la cohérence globale de l’espace. Et c’est l’agencement, justement qui peut nous la donner, à la fois dans les détails de mise en œuvre (retrouver le thème de l’arrondi, de la courbe, de l’arche, etc.), mais aussi de finitions (comme un dessin de prise de main identique dans chaque rangement intégré, ou du bois laqué avec le même grain), ou encore de plinthe, de corniches, de poignées. Tous ces éléments permettent de créer un fil rouge qui unifiera, fluidifiera l’espace, rendra le projet lisible, tout autant que la manière dont on l’habite .. Au même titre que des répertoires de couleurs précis ou des récurrences de matériaux.

Quelles tendances fortes observez-vous dans ce type de programme?

N. B. : C’est peut-être très propre à l’urbain dense, mais je dirais que nous tendons vers une compacité et une intégration maximum de tout ce qui constitue les rangements dans un logement. Et le mobilier suit la même voie. Parfois, si nous ne les retenions pas, nos maîtres d’ouvrage pourraient presque se passer d’éléments de mobilier mobile, pour aller vers du tout intégré! On nous demande souvent de réaliser des banquettes menuisées par exemple. Sauf que cela sanctuarise la position d’une table de salle à manger… Et puis c’est très important de se laisser des possibilités d’évolution, de rythmiques variables dans les espaces, mais aussi (et surtout !!) d’ajouter de très belles pièces à son intérieur : enfilades, consoles, que sais-je ! Autre demande quasi systématique : ouvrir la cuisine, qui devient un marqueur très fort du projet d’agencement. Ce, quelles que soient la taille ou les contraintes du bâti. C’est un lieu de convivialité, de réception, que l’on veut montrer, que l’on habite, un élément dont on est fier, dessiné dans les détails, avec des finitions, des qualités de surfaces et des jeux de matières et de volumes particulièrement travaillés.

Comment traitez-vous les espaces de circulation, de distribution ?

N. B. : Cela dépend des lieux. Tant que faire se peut, nous les rendons les plus compacts possibles en matière de fonctions. Une entrée haussmannienne, très spacieuse, permet d’intégrer un certain nombre d’éléments d’agencement : dressings, dessertes, banquettes pour se déchausser, etc. Lorsque cette approche n’est pas possible, pour de multiples raisons, une autre manière de les optimiser consiste aussi à faire appartenir ces espaces à d’autres (séjour, salle à manger, etc.) en décloisonnant les longs corridors, les entrées, les halls. Nous avons récemment livré un duplex dans le centre de Paris où les contraintes existantes, en l’occurrence l’énorme conduit rassemblant les évacuations de toutes les cheminées de l’immeuble, ont dicté l’emplacement de l’escalier. Mais cela nous a donné l’occasion de déployer des trésors de créativité pour produire un élément de transition léger, avec une emprise minimale au sol, tout en intégrant des rangements, un petit dressing et un micro bureau, et qui reste un marqueur fort du projet ! Toutes les fonctions sont rentrées au chausse-pied!

L’agencement est donc avant tout une histoire de conception de plan ? Quid des couleurs, des matières?

N. B. : Même si elle arrive assez tard dans la conception, toute la partie finitions est évidemment extrêmement importante. Elle participe de l’identité de l’espace! En ce qui concerne la qualité des peintures par exemple, nous travaillons toujours avec des fabricants dont les produits permettent une préparation quasi parfaite des supports, pour obtenir, au moment de la pose, des effets mats très mats, des poudrés ou des satinés remarquables. Pour ce qui est du nuancier, nous n’irons pas vers une base de peinture de la même manière en fonction de l’univers et du projet que nous souhaitons créer. Pour une belle maison de famille un peu flamande, nous opterons pour des marques au nuancier un peu classique. Ce qui ne sera pas le cas pour un appartement contemporain. Idem pour le reste des revêtements. Bon et puis personnellement, pour les plans de travail en cuisine, j’aime par exemple travailler un matériau naturel en pierre pour ce qu’il a d’aléatoire. C’est un plaisir d’emmener un client choisir une tranche, parmi 15 motifs d’une même sélection … Cela crée une sorte de complicité, une implication très différente dans le projet! C’est aussi comme cela que l’on avance dans la bonne direction !

Esprit
bord de mer…
en ville

Ici, tout l’enjeu du projet consistait à créer un duplex, avec des espaces de qualité, alors que l’existant était particulièrement contraint : hauteurs sous plafond à l’étage, conduits techniques au centre du rez-de-chaussée, etc. Il fallait intégrer un salon, un escalier distribuant l’étage du dessus, une cuisine, un petit bureau, etc. C’est un projet passionnant parce qu’il a vraiment fallu faire entrer toutes ces fonctions au chausse pied ! dixit Nicolas Bossard. Ce, pour créer des espaces lumineux et aérés. L’escalier, en bois et acier thermolaqué blanc, rassemble donc de forts enjeux, minimisant sa taille pour réduire au minimum son emprise au sol. Une pièce d’un seul tenant fabriquée par un serrurier, très légère, sculpturale, qui rejoint le coffrage recouvert de tasseaux de contreplaqué de bouleau pour une ambiance un peu cabane de plage, bord de mer, en plein Paris. Tous les éléments d’agencement en bois reprennent la même finition, contrebalancés par des aplats de couleurs vifs : curry dans l’entrée et la cuisine, et terracotta dans la chambre et le séjour, pour créer un univers marqué, conclut l’architecte. 

Architecte : Nicolas Bossard
Photos : ©BCDF Studio